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Ludosophie : Les jeux vidéo pris au sérieux
13 juin 2012

Les jeux vidéo de rôle...ça existe?

Hier, au cours d'une discussion, cette question s'est posée : les jeux vidéo de rôle sont-ils des jeux de rôle ?

L'ami avec lequel je discutais, pratiquant du jeu de rôle tel que Donjon et Dragon, l'Appel de Cthulhu, In nomine Satanis ou encore Cops, me disait qu'il trouvait qu'il n'y avait pas à proprement parlé de jeux vidéo de rôle. Qu'il s'agisse du RPG comme du MMORPG, ces jeux se résumaient le plus souvent en un enchaînement de quêtes dont la résolution se trouvait dans l'affrontement et le combat (exception faite de Elder Scrolls 3 : Morrowind). Qu'il s'agisse du RPG où le leveling est à l'honneur ou du MMORPG axé, aux côtés du leveling, sur le stuffing ; ces types de jeux se rapprochaient plus du Hack'n Slash que du jeu de rôle. De plus, il exprimait le manque de possibilités de personnalisation de son personnage et l'interactivité, au combien pauvre, que manifestent les jeux vidéo dits de rôle.

Bien que les jeux d'aujourd'hui misent fortement sur l'interactivité et la personnalisation, il semble toutefois qu'ils n'arrivent pas à égaler la liberté que procure le jeux de rôle de table. Le phénomène à l'œuvre de cette liberté, dans le JdR (jeu de rôle) de table, doit être rappelé.

Le JdR de table à une particularité qui le distingue d'un grand nombre d'autres jeux. Rappelons comment peut être défini un jeu en un sens général, en nous appuyant sur ce que propose R. Caillois (Roger Caillois, Les jeux et les hommes, Gallimard, 1958) qui fait du jeu une « occupation séparée, soigneusement isolée du reste de l'existence ».


Il s'agit ainsi d'une activité :
« - libre : à laquelle le joueur ne saurait être obligé sans que le jeu perde aussitôt sa nature de divertissement attirant et joyeux ;
- séparée : circonscrite dans des limites d'espace et de temps précises et fixées à l'avance ;
- incertaine : dont le déroulement ne saurait être déterminé ni le résultat acquis préalablement, une certaine latitude dans la nécessité d'inventer étant obligatoirement laissée à l'initiative du joueur ;
- improductive : ne créant ni biens, ni richesse, ni élément nouveau d'aucune sorte ; et, sauf déplacement de propriété au sein des joueurs, aboutissant à une situation identique à celle du début de la partie ;
- réglée : soumise à des conventions qui suspendent les lois ordinaires et qui instaurent momentanément une législation nouvelle, qui seule compte ;
- fictive accompagnée d'une conscience spécifique de réalité seconde ou de franche irréalité par rapport à la vie courante. »

Le JdR de table semble bien disposer de ces composantes, toutefois, dans le jeu en général, nous pouvons remarquer que deux de ces éléments semblent pouvoir s'opposer. En effet, la dimension incertaine et celle de la règle semblent s'opposer et le jeu, en général, est sujet aux compromis car le jeu sans règles serait difficilement jouable, d'une part, et parce qu'un jeu totalement réglé se révèlerait bien trop rigide pour conserver sa valeur de jeu, d’autre part. Qui n'a jamais assoupli les règles du Monopoly, ou encore, laissé passer un coup de son adversaire aux échecs parce qu'il n'avait pas suffisamment connaissance du jeu pour juger de la validité de ce coup... Autrement dit, il réside du "jeu" dans le jeu, entendant par là qu'il y réside des espaces vides non comblés qui sont nécessaires à son déploiement.

Revenons au cas du JdR de table, celui-ci fait aussi état d'espaces de jeu au sein du jeu. Cependant, une différence importante le distingue des autres jeux car, si pour ces derniers il existe une prédominance de la règle, n'étant contournée qu’occasionnellement par méconnaissance ou par une volonté ponctuelle, dans le JdR de table c'est la dimension d'incertitude qui prédomine. Si dans nombre de jeux les tentatives répétées d'éluder la régle engage à ce que l'on parle de "triche", le JdR de table compte particulièrement sur la manifestation de ces tentatives de la part des joueurs. "Tricher" se révèle être une condition de possibilité nécessaire au déploiement du JdR de table, tout simplement parce que la triche ne vaut pas ici  pour ce qu'elle est dans la plupart des jeux. Il est intéressant de voir que ce cas met en évidence une autre acception du terme "tricher" et qu'ici ce n'est pas de la triche que de tricher... Tout au contraire, tricher est le moyen de parvenir à atteindre l'espace de liberté nécessaire qui prévaut sur le cadre qu'imposent les règles. La liberté étant au cœur et constituant l'enjeu du jeu de rôle, ce qu'on appelle communément "triche", dans la plupart des jeux, ne saurait être ici autre chose que la règle première.

Maintenant, si nous revenons au cas du jeu vidéo, nous pouvons remarquer que celui-ci est toujours en défaut face au JdR de table. En effet, s'il s'astreint progressivement des contraintes figuratives et représentatives (nous n’en sommes plus à l'âge du pixel et les jeux ainsi que les performances des consoles d'aujourd'hui sont très capables de représenter les univers et créatures qu'imaginaient les rôlistes), le jeu vidéo manque toujours de cette condition de possibilité nécessaire au JdR de table qu'est la liberté. Bien sur, certains jeux s'emploient à procurer chez le joueur ce sentiment de liberté, mais il ne s'agit là que de l'exercice du contrôle sur la visibilité de la règle. En effet, tendant à la dissimuler, les jeux vidéo se posent moins comme des espaces de liberté, que comme des espaces visant à masquer le contrôle par un contrôle encore plus grand. RPG et MMORPG se situent précisément dans ce schéma et l'on peut légitimement se demander si l'expression "jeux vidéo de rôle" est appropriée. Paradoxalement, c'est peut-être à l'époque où le jeu vidéo souffrait d'énormes contraintes représentatives, relatives à la technologie de l'époque, que celui-ci s'approchait le plus du jeu de rôle, cette époque où vous n'aviez qu'un écran noir sur lequel s'affichait un scénario et où l'on vous demandez : Que faites-vous? (question au combien importante et caractéristique du JdR de table)  et à laquelle vous répondiez en tapant un mot sur votre clavier (par exemple : Que faites vous? ... Ouvrir.... Ouvrir quoi?... Porte!).

Sur ce thème, je vous invite à découvrir un très bon livre, avec plusieurs niveaux de lecture, joueur, universitaire, ou non initié à l'un comme à l'autre:

Jeux de rôle : Les forges de la fiction, Olivier Caïra, Paris, édition du CNRS, 22 mars 2007.

 jdr

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Commentaires
H
Rectification:Je faisais bien évidemment référence à "Journey" tout court et non pas Fable The Journey qui m'a l'air lui malheureusement plus que douteux.<br /> <br /> <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=5NlVttFRPpU
H
Il est certain qu’aujourd’hui l’univers proposé par les jeux n’a plus rien de figuratif, le monde qui était à imaginer avant dans les JdR est maintenant matérialisé sous nos yeux. Cependant le progrès technologique ne nous arrache pas fondamentalement à nos réflexes de joueur/créateur. Certaine licences comme L.A Noire, Mass Effect et Deus Ex privilégient encore les phases d’échange, de dialogue, la construction des personnages et la résolution par l’exploration malgré des graphismes très avancés. D’autres jouent la carte de l’open World avec un fort potentiel de création, poussant le joueur à créer sa propre histoire à partir du support : The Elder Scroll bien sûr mais pourquoi pas GTA ou Fable (qui ne s’est pas balader à cheval dans Red Dead Redemption au coucher du soleil rien que pour le plaisir et la beauté des paysages). Et enfin on trouve ceux qui ne font aucun compromis type Minecraft (créer ton monde, ton perso , ton jeu et démerde toi) ou de façon plus évidente les jeux indé disponibles sur portable ou sur le XBLA et le PSN. Car étant confrontés aux même contraintes techniques et financières que les anciens développeurs, ils se retrouvent à utiliser « les vieux trucs » qui font qu’un jeu fonctionne avec 3 fois rien s’il est créatif. On se retrouve ainsi avec des jeux « muets » qui laissent un maximum de place au joueur (Un exemple récent dès plus magnifique est The Journey). Dans ces jeux comme dans les JdR on ne possède qu’un support, un fond graphique au lieu d’un bouquin, une musique, une voix off ou un prologue à la place du maître du jeu et tout le reste dépend du joueur. (On a d’ailleurs eut d’autres supports hybrides en parallèle des jeux vidéo comme Atmosfear par exemple).<br /> <br /> Un point particulièrement intéressant sur les titres de ce genre est le traitement de la définition des règles et notamment la communication des joueurs dans les modes coop. Comment garder la magie, la non-identité du joueur/personnage ? Certains jeux ont trouvé des méthodes superbes, simples, intuitives et universelles. Au lieu de crier « gauche », « droite » dans un casque, on emploi un langage spécifique au jeu qui force le joueur a vraiment communiquer et interagir avec l’autre. Les deux meilleurs exemples sont Portal 2 et The Journey : dans le premier il s’agit de gestes simple type arbre de communication, des gestes lambda qui ne sembles pas tactiques (du genre danser et jouer à « feuille, papier, ciseaux »…). Mais le plus fort c’est que ça marche, certains niveaux sont terriblement complexes et même avec des mots ont aurait du mal à expliquer à l’autre ce qu’il doit faire et dans quel ordre. Et bien avec quelques signes et fonctions, Portal nous permet de nous faire comprendre et on peut expliquer à un joueur débutant en ligne comment résoudre le niveau tout en s’amusant. Le deuxième exemple représentatif est The Journey dans lequel la communication est parfaitement secondaire, on évolue dans un monde libre, avec d’autres joueurs en réseau et il n’est pas nécessaire de communiquer avec l’autre pour avancer. Si on le fait c’est donc gratuitement, pour une rencontre et pourquoi pas partager un bout de l’histoire avec un inconnu. Pour s’exprimer, une seule touche, le personnage émet un bruit qui résonne et un symbole abstrait apparait au-dessus de lui, plus ou moins gros et fort en fonction de la pression sur la touche. On rencontre quelqu’un, on dit « bonjour », « suis moi » ou « va-t’en » avec la même touche et de la même manière. Seul les mouvements et les glissements de l’autre permettent d’interpréter ce signe. Si je m’attarde sur la communication c’est que je pense que c’est essentiel dans les jeux de rôle, on joue ensemble, en groupe et à la fois on construit l’histoire de son personnage. De même, on joue et on ne joue pas, il y a les autres, les temps de pause et d’échange en dehors du plateau ou du scénario. Or on peut parvenir à retrouver tous ces traits dans certains jeux vidéo car ils sont liés à ces dimensions créatrice et sociale du jeu qui restent primordiales. Finalement dans Red Dead Redemption ou dans Skyrim par exemple, je peux faire des missions (jouer) ou alors « me balader », évoluer dans l’univers, explorer, discuter, sans que le jeu m’y pousse mais simplement par volonté de découverte. C’est presque alors un temps de jeu hors du jeu et on retrouve sa liberté de création sur ce support qui nous est offert. Pour conclure, même s’il est déjà relativement difficile de définir le genre « Jeu de rôle » tant il se distingue par sa multiplicité de forme (tout comme le jeu vidéo), on peut tout de même parvenir à retrouver certaines de ses caractéristiques fondamentales dans des productions vidéo ludiques. Après tout, pour ma part, ce qui distingue ce genre est avant tout la place laissée à l’imaginaire, la construction de son monde et de son personnage à partir de règles ou de supports simples, ainsi que le partage à plusieurs de l’expérience de jeu ainsi crée. Si le support a aujourd’hui put évoluer et se distinguer du livre, des dés ou figurines, le fait de se baser sur une interface graphique ne change pas grand-chose pourvue que celle-ci nous laisse l’espace nécessaire à la création et au partage de nos productions.
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