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Ludosophie : Les jeux vidéo pris au sérieux
23 juillet 2012

Keys of a gamespace : Au-delà du possible, le jeu vidéo espace potentiel.

Keys of a Gamespace, jeu vidéo gratuit et libre d’accès, n’a rien d’une super production mais n’a cependant rien à leur envier. Un gameplay simple, un level et character design épuré, lui suffisent à le rendre prenant, intrigant, voir même bouleversant, et sans conteste philosophique. Un jeu qui résonne avec l’idée qu’évoquait Hagstrom, et que nous avons aujourd’hui en commun, selon laquelle la valeur conceptuelle et/ou philosophique d’un jeu, au-delà du fait qu’elle puisse se situer dans ce que le joueur y apporte de par ses expériences et vécus personnels, peut résider de façon intrinsèque au jeu dès lors qu’il relève d’une démarche personnelle de son (ses) auteur(s) qui peut être tant artistique, culturelle, etc., que philosophique. (Concernant le commentaire d’Hagstrom, reportez-vous ICI).

 

Voici comment se présente ce jeu qui, selon moi, « prend aux tripes » : 

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Lors de notre précédent article (Braid : Actualiser le virtuel), nous avions évoqué ces notions de « possible » et de « potentiel » sans vraiment les différencier. Or, c’est justement ce que Keys of a Gamespace permet de faire, résonnant une nouvelle fois avec les propos de P. Lévy (Ouvrage : Qu’est-ce que le virtuel ?), et cela de façon assez surprenante. La surprise vient du fait que ce jeu témoigne d’une large ouverture sur autre chose que le jeu lui-même, bien qu’il soit conçu à partir d’un dispositif qui pourrait supposer, de prime abord, qu’il s’agit d’un jeu rigide et clôt. En effet, élaboré sous la forme d’un « point and click », le jeu laisse évidemment peu de place quant à la liberté de mouvement de l’avatar et d’interaction avec le décor. Cependant, et c’est là qu’on relèvera encore une fois la force des bons « point and click » et la créativité remarquable de ceux qui sont à l’œuvre de leur réalisation, Keys of a Gamespace n’a nullement besoin de cela pour vous emmener. Nous emmener…mais où ça ?

Pour répondre à cette question, je dirais vers une ouverture… Mais, une ouverture sur quoi ? Sur le monde, sur autrui, sur vous-même ; l’un ou l’autre, peut-être tout à la fois ou rien de cela mais tout autre chose… Bref, encore une fois, c’est à vous qu’il appartient de répondre à cette question. Mais voici en quelques lignes ce que ce jeu a suscité chez moi :

 

Keys of a Gamespace, plus qu’un jeu, constitue une mise en jeu ou une mise en scène de ce qui est en jeu dans l’espace de nos vies, voilà pourquoi nous reviendrons sur les notions de « possible » et de « potentiel ». Ce qu’il faut identifier pour chacune d’elles, c’est le port d’attache auquel elles semblent respectivement liées de sorte à constituer deux couples que sont : le « possible/réel » et le « potentiel/virtuel ».

Expliquons nous, les deux notions présentent ce caractère commun consistant à se tourner vers un « advenir » et présentent ainsi une dimension 

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protentionnelle. Toutefois, envisager présentement un « advenir » passe, le plus souvent, par la considération et l’évaluation des données, des connaissances et des savoirs dont nous disposons au préalable, ce qui nous engage dans une dimension rétentionnelle. Ainsi, comme le remarquait brillamment Husserl, le temps peut être conçu soit objectivement, soit subjectivement mais, dans ce second cas, le temps de la conscience (remarquons que cette distinction se retrouve chez Bergson par les notions de temps objectif et de durée) ne pose jamais l’individu dans un présent immuable et instantané. Le présent est toujours l’affaire d’une dynamique, d’une tension entre la sphère du futur et la sphère du passé. « Il y a dans le présent une rétention du passé (rétention primaire si c’est un passé immédiat, rétention secondaire si c’est un souvenir plus lointain) et une protention du futur (de ce qui va immédiatement arriver). ». Ainsi, « possible » comme « potentiel », bien qu’étant orientés vers le futur, nous place au sein de cette dynamique et de cette tension « proto-rétentionnelle ». Mais alors, qu’elle différence entre ces deux notions ?

 

Comme nous l’avons dit, pour nous tourner vers le futur, nous évaluons les situations à partir d’un certain nombre de données dont nous disposons au préalable. Quel que soit leur mode d’acquisition, ces données nous viennent du passé et, par notre regard vers le futur, nous sommes engagés à les ramener sur le devant de la scène afin de procéder à l’évaluation et, surtout, à des choix. Comme nous le savons, le choix consiste à sélectionner une voie possible parmi d’autres possibles. Or, le réel ne nous offre jamais la gamme complète des ouvertures futures, ne serait-ce que parce que les choix réalisés dans le passé nous conduisent vers certaines expériences plutôt que d’autres, vers certaines connaissances et savoirs plutôt que d’autres, de sorte que les données dont nous disposons pour faire un choix maintenant sont déjà relatives aux choix précédents ainsi qu’aux données précédentes ayant motivés ces premiers. Bref, nos choix d’aujourd’hui trouvent une dépendance relative dans nos choix d’hier. Voilà ce qui semble lier le réel au possible, c’est cette interdépendance du passé et de l’avenir sonnant presque comme un : « Souvient toi de ton futur, préoccupe t’en, et tu pourras envisager et ainsi dépeindre, couches après couches, le visage de ton passé. », de sorte qu’est « Possible » l’ensemble des choix issus de la gamme restreinte d’informations dont nous disposons de part nos choix précédents. Déterminisme rigide, liberté relative, auto-aliénation… ?

 

Cela serait surement le cas si le virtuel n’existait pas. Entendons nous, nous ne disons pas « si les technologies virtuelles n’existaient pas » mais bien « si le virtuel n’existait pas » ! La différence réside dans le fait que si les technologies virtuelles constituent un espace de mise en scène du virtuel, celles-ci n’en sont pas à l’origine ; le virtuel les précédait. Prétendre le contraire serait comme s’évertuer à croire que le drame n’existait pas avant que le théâtre et la dramaturgie ne le mettent en scène ou que, l’horreur est née du cinéma d’horreur.

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Le virtuel est l’espace du conditionnel (au sens de condition plus qu’au sens de l’expression linguistique du mode de conjugaison que l’on appelle Conditionnel), du « et si… » ainsi que du « si l’on faisait comme si… », de sorte que la graine qui ne germe pas, si elle est réellement une graine, est aussi virtuellement un arbre car elle en possède la potentialité. Ainsi, si je fais le choix de ne pas la planter ou si celle-ci ne reçoit pas d’eau, mon choix et les possibilités présentes ne peuvent ouvrir l’avenir vers ce possible (la graine va germer) et ce réel (la graine est en germe). Toutefois, cela ne retire rien au fait que la graine dispose de ce potentiel (la graine pourrait germer) et cet état virtuel (la graine serait un arbre). En d’autres termes, l’impossibilité et l’irréalisation, qui paraissent engager l’être d’une chose, ne constituent pas une négation de la potentialité et de la virtualité d’une chose à être, dès lors que nous nous situons sur deux plans différents lorsque nous parlons de réel et de virtuel, l’un étant en relation avec le possible là où l’autre est lié au potentiel. Ainsi, en écho aux idées développées par P. Lévy, nous pouvons considérer que le virtuel constitue moins une opposition face au réel qu’un complément à celui-ci de sorte que si le réel trouve sa résolution dans la réalisation, par le biais du possible, le virtuel trouve la sienne dans l’actualisation (presque entendue comme fait de « prendre acte de… » et d’envisager que « il pourrait être de telle sorte que… »), par le biais du potentiel.

Par conséquent, en dépit de la réalité (entendons réel ayant trouvé sa résolution dans la réalisation par le biais des possibles) et de la dynamique

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« proto-rétentionnelle » dans laquelle nous sommes pris, il est toujours à notre portée de prendre acte, dans notre passé, qu’il aurait pu en être tout autrement et de ré-envisager notre futur. Vision imaginaire de notre futur, le virtuel n’est qu’un pur mécanisme de « phantasmation » d’un futur qui aurait pu être mais qui ne sera jamais car les possibilités de sa réalisation n’ont pas été entrevues, par le passé, me direz-vous… Soit, nous pouvons être aveugles des embranchements de nos vies et ne voir qu’un unique chemin là où se présente un carrefour. Pour autant, nos vies sont loin d’être à sens unique et nous sommes régulièrement confrontés aux mêmes carrefours ou à des embranchements similaires, de sorte qu’avoir pris acte d’une voie potentielle, bien qu’on ne l’ait pas empruntée, constitue déjà l’apparition d’un nouveau possible. En effet, cette voie dont j’ai pris acte de l’existence, puisqu’elle existe ; il était possible que je l’emprunte et, de fait, que lors de mon prochain trajet ce soit celle-ci que je choisisse. Certes, par manque de moyens ou d’opportunités, il n’est pas toujours aisé de revenir sur les décisions que nous avons prises, surtout lorsque celles-ci résident dans un lointain passé. Néanmoins, avoir pris acte de l’existence d’une voie et de la possibilité de l’emprunter n’implique pas, nécessairement, qui faille faire demi-tour pour s’engager sur celle-ci. En effet, par leurs multiples embranchements, nos vies peuvent paraître aussi chaotiques qu’une autoroute pour un apprenti conducteur mais elles ont en commun ceci que : même si vous avez raté la voie de sortie, pour vous rendre à votre destination, il vous est toujours permis de continuer tout droit en attendant de rattraper votre chemin, par la suite, à la prochaine sortie. Plus long et fastidieux, certes, mais probablement moins risqué que d’engager un demi-tour et de prendre l’autoroute en sens inverse. Par conséquent, les choix que nous opérons ne semblent pas constituer un déterminisme aussi rigide que l’on pourrait le penser, a priori, dès lors que nous prenons la mesure de la place qu’occupe le virtuel dans nos vies.  

  

Voici ce que Keys of a Gamespace m’a inspiré et l’endroit où vous pourrez trouver ce jeu (ICI).

 

Bon jeu, en toute philosophie…

 

  

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