Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ludosophie : Les jeux vidéo pris au sérieux
10 août 2012

De Marcel Duchamp à la Super Nintendo...

L’ART EST MORT ! Rien de très nouveau là-dedans, à l’occasion de son ouvrage qu’est « L’Esthétique », Hegel nous annonçait déjà ce fait.

R4f

Mais non, pas d’inquiétudes, l’art n’est pas vraiment mort… Comme souvent, derrière cette affirmation hégélienne se trouve une entente bien précise de « ce que doit être l’art » qui conduit, à partir d’un postulat de départ, à une approche philosophique et une considération bien particulière de « ce qui est art » et de ce qui ne l’est pas. L’acceptation de ce postulat de départ, qui constitue le principe de toute réflexion philosophique, conduit le plus souvent à l’acceptation de tout ce qui en découle. Toutefois, toute théorie philosophique trouve ses limites dans cette acceptation et ne saurait conserver toute sa validité au-delà de ce postulat posé en principe. Rappelons que le terme de principe renvoie à l’idée de ce qui est premier, originaire et génétique. Il est ce que l’on pose dés le départ, comme les fondations d’une maison, parce qu’il faut bien partir de quelque chose et parce que la théorie va trouver son origine et être générée à partir de celui-ci. Donc rien ne vous empêche de le refuser…Soit dit en passant, refuser le principe n’invalide pas la théorie (pour cela il faudrait accepter le principe et montrer que ce qui en découle est erroné) mais cela conduit à ne pas s’entendre ou ne pas partager la conception de l’auteur (c’est en ce sens qu’on entend parfois dire que : « Les philosophes, entre eux, sont souvent des gens qui n’ont rien à se dire », car ne partageant pas les mêmes fondations, il est difficile d’aboutir à un consensus). Mais pourquoi évoquons-nous cela ?

 

wc SNESLa raison se trouve dans cette photo (ci-contre) qui, au premier regard, peut engager le trouble dans nos catégories. Par bien des aspects, elle nous renvoie à l’idée d’une création artistique par la réutilisation d’un produit, le réinvestissement de celui-ci et l’investissement personnel d’un individu pour en faire autre chose. Mais, dans un même temps, elle peut susciter un rejet de la part de celui qui l’appréhende, dès lors qu’elle semble dévaloriser le produit d’origine.

Il ne vous aura, sans doute, pas échappé que cette création résonne fortement avec « L’Urinoir » de Marcel Duchamp qui en son temps fit scandale.Pour la petite histoire « l’Urinoir » avait été d’abord proposé à la société des artistes indépendants de New York en 1917 mais fut refusé catégoriquement au motif qu’il ne s’agissait pas d’une œuvre d’art, n’ayant donc pas sa place dans une exposition. Quelques années plus tard, fin des années 1960, des répliques de l’œuvre seront commandées pour diverses expositions (Musée Maillol de Paris par exemple). Sans être à l’origine du concept artistique de « ready-made », L’Urinoir en élargit les perspectives et ouvre le paradigme artistique en présence à l’époque vers autre chose. Une ouverture où l’art est moins de l’ordre de la contemplation d’une technique et d’un savoir faire, que de celui du questionnement et de la réflexion. Bouleversement de l’entente commune de ce qui est art, on pourrait même trouver une seconde ouverture à partir de cette même œuvre, du moins à partir d’une de ses répliques, par l’intervention de Pierre Pinoncelli. Rappelons que l’artiste P. Pinoncelli a uriné dans une réplique de « l’Urinoir » avant de l’asséner de coups de marteau, dans le cadre du Carré d'Art de Nîmes (1993) puis du musée national d’art moderne du centre George Pompidou de Paris (2006), s’expliquant par la suite :

 

« Il s'agissait d'achever l'œuvre de Duchamp, en attente d'une réponse depuis plus de quatre-vingts ans ; un urinoir dans un musée doit forcément s'attendre à ce que quelqu'un urine dedans un jour, en réponse à la provocation inhérente à la présentation de ce genre d'objet trivial dans un musée [...]. L'appel à l'urine est en effet contenu ipso facto - et ce dans le concept même de l'œuvre - dans l'objet, vu son état d'urinoir. L'urine fait partie de l'œuvre et en est l'une des composantes [...]. Y uriner termine l'œuvre et lui donne sa pleine qualification. [...] On devrait pouvoir se servir d'un Rembrandt comme planche à repasser ».

Fontaine_DuchampMais revenons à Duchamp… Si vous vous êtes arrêtés sur les précédents articles, vous aurez pu lire les propos concernant « l’Horizon d’attente ». Nous ne reviendrons pas dessus ici mais nous pouvons indiquer que le refus de « l’Urinoir » dans un premier temps, nous ramène à ce questionnement sur les conditions de réception d’une œuvre et nous réengage à penser qu’acceptation et rejet sont l’office, le plus souvent, d’une situation contextuelle et paradigmatique. En 1917, le paradigme artistique en présence ne semblait donc pas disposé à reconnaître qu’une telle chose puisse être qualifiée d’œuvre d’art.

Revenons maintenant sur notre photo d’un Urinoir fait de cartouches de jeux Super Nintendo… Il peut être considéré que le jeu n’est qu’un produit et qu’il ne s’agit là que d’un assemblage de produits non artistiques. On peut relever que cet assemblage conduit vers un nouveau produit qui lui-même n’a rien d’artistique, à savoir : un urinoir. Toutefois, si l’on se plaçait dans la position de Duchamp, cet assemblage trouverait probablement une résonnance en tant qu’œuvre d’art. De plus, si l’on part du principe que le jeu vidéo est lui-même de l’ordre de l’art, alors c’est par la réunion et le détournement de différentes œuvres, ainsi que par leur réinvestissement, que naitrait une nouvelle œuvre par assemblage. Un ready-made vidéo ludique…

Néanmoins, il est encore plus intéressant de pousser l’idée jusqu’au bout, jusqu’à Pinoncelli plus précisément, avec la vidéo que vous trouverez à la suite de cet article. Horreur que de voir des jeux Snes traités de la sorte, c’est ce qui peut venir en premier lieu à l’esprit… Seul un « Pro Megadrive » peut se comporter ainsi [lol ;) ]… Toutefois, puisqu’il s’agit bien là aussi d’un urinoir, si comme l’évoque Pinoncelli : « L'urine fait partie de l'œuvre et en est l'une des composantes [...]. Y uriner termine l'œuvre et lui donne sa pleine qualification », il n’y a rien de très surprenant dans cette vidéo. Cependant, puisque l’Urinoir est un assemblage de jeux vidéo, il subsiste cette question : Cette finalité ne concerne-t-elle que l’assemblage lui-même, effaçant par là-même les divers objets qui le composent, ou s’applique-t-elle aussi aux objets à l’origine de l’assemblage ? Autrement dit, dans le cas présent, la finalité d’uriner ne concerne-t-elle que l’assemblage « Urinoir » ou s’applique-t-elle aux jeux vidéo ?

Bien qu’il puisse paraître saugrenu de se demander si le jeu vidéo est une œuvre d’art inachevée qui pourrait trouver sa finalisation par le fait d’uriner dessus, c’est pourtant bien vers cette question que peut conduire tout ceci…

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
S
article très intéressant pour moi qui suis fan de design !
Publicité