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Ludosophie : Les jeux vidéo pris au sérieux
30 août 2012

Qu'est-ce que le jeu vidéo, la perversion du questionnement socratique.

Aujourd’hui l’article fera suite à un débat sur le jeu vidéo (initialement intitulé « Les nouvelles façons de jouer » à l'occasion de : les Rencontres Vidéoludiques, initiative portée par Loisirs Numériques et MO5.com auquel Gameblog s'est associé afin de débattre autour de thèmes centraux du jeu vidéo dans un lieu adapté, Le Dernier Bar avant la fin du Monde).

Celui-ci consistait, finalement à s’interroger sur ce qu’est le jeu vidéo et comment nous pouvons le définir. Je me permets donc d’entrer dans le débat et de mettre mon grain de sel sur ce qui a été dit puisque, bien qu’un certain nombre d’éléments étaient intéressants dans celui-ci, je pense que les participants sont passés à coté de quelque chose. Voici la vidéo du débat :

 

 

Les débats ne cessent d’être alimentés par la question de la définition du jeu vidéo, évoquant tant l’incomplétude que  la possibilité d’une trop grande étendue du terme. Ceci consiste en l’évaluation des bornes du jeu vidéo et à la délimitation de son espace. Cependant, la tâche n’est pas simple est l’on pourrait bien énumérer l’ensemble des individus représentant le jeu vidéo, par listing de tous les jeux vidéo ayant existés jusqu’à ce jour, que le problème ne serait pas résolu pour autant. De fait, le jeu ne semble pas exempt de l’idée selon laquelle : le tout est toujours supérieur à la somme des parties. Une énumération mettrait à notre disposition un ensemble de faits, mais une collection de faits ne constitue pas la compréhension de ce qui fait le Fait. Si mettre côte à côte des éléments particuliers est une chose, il en est une autre de comprendre leur universalité, c'est-à-dire d’identifier ce qui permet aux particuliers de tomber sous l’universel, en l’occurrence aux différents produits numériques de tomber sous cette catégorie unique de jeu vidéo.

En ce sens l’universel échappe à la simple juxtaposition des particuliers. Le nier, et essayer de comprendre de la sorte ce qu’est le jeu vidéo, serait tout aussi improductif que d’esquisser une définition de ce qu’est une boite à bonbons par l’énumération de tous les bonbons qui peuvent exister en relevant leur caractéristiques souvent très différentes (forme, couleur, goût, etc.). En réalité, il nous semble que toute la difficulté réside dans la façon que nous avons de nous poser la question sur le jeu vidéo.

 

En effet, la question se manifeste, le plus souvent, par un « Qu’est-ce que … » de sorte à être formulée ainsi : Qu’est-ce que le jeu vidéo ? Or, cela n’est pas sans rappeler la forme des questionnements des dialogues platoniciens qui, par la voix de Socrate, s’intéresse à l’essence des choses plus qu’à leurs manifestations particulières. Toutefois, la question semble déjà orientée et cause de nombreuses erreurs par la préférence de cette forme qu’est le « Qu’est-ce que ».

En son temps, Nietzsche relevait déjà la difficulté, avec sa façon si particulière, qui consistait à nous dire que : « Socrate avait peut-être bien mérité la cigüe, lui le comédien qui, prétendant ne rien savoir, pervertissait subtilement la jeunesse en amenant ses interlocuteurs dans des errances de la pensée avant de les conduire en maître, par la seule formulation d’une question à l’orientation qui n’avait rien d’anodine, à la définition qu’il attendait. ».

En effet, comme Nietzsche le relève, se poser la question dans les termes d’un « Qu’est ce que » relève déjà d’une prise de position consistant à ébaucher un chemin pour le cheminement de la pensée et à l’orienter dans une direction plutôt qu’une autre. Il aurait été préférable, selon lui, pour éviter toute perversion, d’adopter l’attitude propre aux Sophistes (d’ailleurs fortement attaqués par Platon qui leur attribuait la capacité de faire passer le faux pour le vrai) et de poser la question en ces termes « Qui, Qui veut… ».

De Socrate, tel que le fait parler Platon dans ses dialogues, par l’utilisation du « Qu’est-ce que » aux Sophistes utilisant le « Qui », on peut s’interroger sur la capacité de chacun à pervertir. Cependant, et c’est surement là la force du propos nietzschéen, on doit tout de même relever qu’il existe dans le « Qui et le Qui veut» la prise en compte d’une dimension relationnelle qui ne trouve pas d’écho dans le « Qu’est ce que ».      

 

L’émergence de cette idée d’une considération relationnelle des choses que met en avant Nietzsche, semble résonner avec une discipline philosophique qui en a fait sa méthode, à savoir : la phénoménologie.

Certes, dans le « Qu’est ce que… », c’est bien l’universel que nous visons, le jeu vidéo dans son ensemble et pas un jeu particulier, mais cette quête de l’EN SOI se clôture, le plus souvent, par une vision ontique de l’objet à définir qui ne vise  que l’ÉTANT. Tout ceci nous ramène, bien évidemment, vers Heidegger (phénoménologue allemand) qui identifie ce même problème dans la philosophie, et plus précisément dans la métaphysique, qui, bien qu’elle cherchait l’Être des choses, est passée à côté pour ne trouver que l’Étant. Ainsi, se poser la question du « Qu’est ce que… » privilégie toujours la comparaison de la chose que l’on cherche à définir par rapport à une instance supérieure, qu’il s’agisse de Dieu ou des Idées chez Platon.

Il en va de même quant à la question : « Qu’est ce que le jeu vidéo ? », où l’on procédera par comparaison avec une définition générale du jeu vidéo que l’on s’est donné à soi-même. À l’issue de cela, soit nous tombons tous d’accord parce que nous procédons à la même comparaison et il s’agit d’une forme de dogmatisme, soit nous avons une instance supérieure comparative différente qui engage des désaccords et qui mène à une forme de subjectivisme. Par conséquent, pour se défaire de cette difficulté, il faut abandonner ce mode de définition par comparaison à une instance supérieure, dépasser la considération ontique, ne plus voir seulement l’Étant pour revenir vers une considération ontologique mettant en lumière l’Être de l’Étant, par un processus de considération du « Dassein » (terme spécifique à la philosophie d’Heidegger que nous traduisons généralement par « l’Être là », traduction grossière puisqu’il est toujours difficile de transposer un terme d’une langue à une autre tout en conservant l’identité pure de celui-ci).  

Pour comprendre cette idée, il faut entendre le retour vers un mode de définition qui prend en compte le fait que l’objet que l’on étudie n’est pas isolé dans une forme de vide intemporel, mais qu’il est au contraire dans le monde. Cela implique que l’objet d’étude entretienne des relations avec ce monde, avec ce temps, avec les autres objets de ce cadre spatio-temporel, ainsi qu’avec les hommes. « L’Être là » est donc un concept aux dimensions relationnelles fortes qui est nécessairement voué à évoluer, se transformer, changer, et c’est cette considération de la plasticité de l’Être des choses qui fait défaut à la compréhension du jeu vidéo par cette question : « Qu’est ce que le jeu vidéo».

 

L’évocation de cette dimension relationnelle n’était pas absente du débat, puisqu’il a souvent été question de la notion « d’expérience de jeu ». Cependant, son traitement a conduit les intervenants à se focaliser principalement sur une des dimensions du jeu vidéo à savoir : le fun. Si cette dimension semble bien présente dans le jeu, la définition du jeu vidéo tombe néanmoins en désuétude si l’on cherche à établir celle-ci à partir de la notion de « fun ». Bien sur, nous ne disons pas là que les jeux ne sont pas « fun » ou ne peuvent l’être, mais simplement que revenir à un concept rigide et dogmatique sur lequel on s’accorde ou à un concept flou empreint de subjectivisme sur lequel on ne s’accorde pas, ne saurait définir le jeu vidéo. Soit, le jeu vidéo doit être défini en tenant compte de sa dimension relationnelle, mais il en va de même du « fun ».

Le soucie du débat et la focalisation manifeste sur cette notion montre à quel point nous sommes capables d’identifier un problème et, dans un même temps, de le déplacer plutôt que de le résoudre. Si nous nous attachons au fait qu’un jeu vidéo doit se définir dans la relation que les joueurs entretiennent avec celui-ci, il faut tout autant considérer « le fun pour Qui ? » et non pas seulement « Qu’est ce que le fun ? ». Si certains aiment à dézinguer du démon à coup de BFG9000, d’autre à élever des animaux virtuels en Tamagotchi, ou encore à se prendre la tête sur les énigmes d’un « Les Mésaventure d’un P. B. Winterbottom », c’est que pour tous, mais surtout pour chacun, ces différentes activités sont funs.

Encore une fois, c’est la recherche d’une définition stricte, ici en l’occurrence du fun, qui est cause des difficultés à définir le jeu vidéo et avoir recours à d’autres notions (la frustration et ses différents degrés par exemple) sont autant de subterfuges à la compréhension de ce qu’est le jeu vidéo. Il nous sera toujours possible d’invoquer toutes les notions que nous voulons, mais cela ne consistera jamais qu’en un déplacement du problème. En résumé, chercher à définir le jeu vidéo à partir d’une notion qui bénéficierait d’une définition stricte (à supposer que l’on en trouve une sur laquelle nous nous accordions tous) constitue une méprise sur le jeu vidéo, aussi forte que celle de vouloir donner une définition stricte du jeu vidéo, ainsi qu’un dogmatisme vidéo ludique.  

 

D’autre part, et nous finirons par ceci, bien que la notion « d’expérience de jeu » soit souvent mobilisée, celle-ci reste tout de même problématique. Qu’entendons nous par « expérience », est-ce le simple fait qu’un média nous procure des sensations, des émotions, nous fait vibrer, nous fait «vivre » des choses ?  Est-ce seulement le fait que quelque chose qui nous est extérieur vienne à la rencontre, ou à l’encontre dans certains cas, de notre conscience ?  

C’est déjà un grand progrès de parler « d’expérience » mais considérons l’expérience pour ce qu’elle est. Une expérience ne se limite pas à n’être qu’une relation unilatérale avec les choses mais constitue bien un mode relationnel bidirectionnel. Le simple terme « expérience » devrait pourtant nous le faire entrevoir puisque son étymologie « l’emperia » nous renvoie à ce qui est de l’ordre de l’empirique mais, surtout, parce qu’il nous reconduit à la notion d’Empire. Or, qu’est ce que nous indique tout cela si ce n’est un caractère consistant à recevoir tout en prenant position, à prendre partie, à aller à la conquête ? Faire une expérience c’est se confronter au monde, en confronter les éléments aux catégories de notre Entendement et les y faire prendre place par la capacité de notre Raison à formuler des jugements (synthétique s’il en est, si l’on suit le propos Kantien).

Quoi qu’en disent les éditeurs qui se targuent de ne plus vendre un produit fini sur une galette mais bien une expérience de jeu, l’expérience n’est pas qu’un don de l’objet expérimenté vers le sujet de l’expérience. Une expérience constitue, nécessairement et toujours, un investissement de sujet à l’égard de l’objet expérimenté et le jeu vidéo n’est pas devenu expérience par ses formes « ouvertes », par la dématérialisation ou les DLC. Le jeu vidéo a toujours constitué une expérience dés l’instant où les joueurs s’y sont intéressés, puisque le simple fait de jouer constitue déjà un investissement dans l’objet. Jouer à un jeu c’est aussi lui donner du sens, attribuer des significations à un monde virtuel qui se présente sous nos yeux, faire tomber sous un certains nombre de nos catégories les éléments qui le composent, par synthèse ou par comparaisons avec nos catégories propres au monde réel. La gravité, l’inertie, l’espace, le temps, la mort, etc. sont autant de composantes qui se présentent, parfois dans leur absence, dans le jeu vidéo. Il n’est d’ailleurs pas rare que surgisse un sentiment de décontenancement, lors des premières minutes, lorsqu’un jeu joue avec nos catégories habituelles ou lorsqu’il les fait disparaître (ce qui lui vaut le plus souvent d’être caractérisé d’OVNI vidéo ludique).

En définitive, si la dimension expérientielle est bien présente dans le jeu, prenons au moins la mesure de ce que recouvre vraiment l’expérience. Et, si tant est que notre langage et notre utilisation abusive du terme dans la vie quotidienne en masque ou en ampute la richesse, évacuons la notion mais gardons à l’esprit cette dimension relationnelle bidirectionnelle qu’il conviendrait, pour en appréhender la diversité, de définir comme un rapport entre les joueurs et l’objet vidéo ludique de l’ordre d’une relation noético-noématique.

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