Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ludosophie : Les jeux vidéo pris au sérieux
19 septembre 2012

Manette, clavier, souris… L’extension de ma corporéité ?

Les univers vidéo ludiques, quels qu’ils soient, nous sont toujours accessibles par le biais d’un médiateur. Il y a, bien entendu, l’avatar qui se pose comme un moyen terme entre nous et le monde virtuel, mais le périphérique de contrôle constitue lui aussi ce type de rapport.

Certes, les périphériques peuvent être perçus comme des éléments qui engagent une mise à distance du joueur par rapport au monde du jeu, car nous n’en sommes pas encore à pouvoir jouer par la pensée (quoi que cela viendra peut-être avec le temps, je vous invite à  regarder ceci). Toutefois, le contrôleur est aussi ce qui nous fait prendre place dans le monde virtuel et ce qui nous permet d’y évoluer.

 

ChaineEvoManettesSegaAu-delà de sa simple dimension utilitaire, le contrôleur tend à assurer un certain confort de gameplay. La qualité de celui-ci est variable en fonction des différents contrôleurs mais aussi, de manière relative, en fonction des jeux sur lesquels ils sont utilisés. Prenons par exemple le portage sur console d’un jeu d’arcade, comme Street Fighter 2 (Capcom), on se rend vite compte des limites que peuvent poser les contrôleurs standard des machines.

Sur un SF2, par exemple, certains reprocheront à la manette SNES l’inconfort pour réaliser des coups puissants configurés au niveau des gâchettes supérieures (L et R). La MegaDrive sera probablement favorisée, du moins si l’on pense à son « Arcade power stick » (le second de préférence) mais celle-ci révèlera aussi un problème de confort si l’on s’en tient à son contrôleur standard. Rappelons-le, dans ce jeu qui proposait trois niveaux de puissance de coup de poing ainsi que trois niveaux de puissance de coup de pied, avec une manette munie seulement de trois boutons d’action, il fallait s’habituer à alterner les fonctions de ceux-ci, en pleine partie, en appuyant sur Start pour réaliser les six actions. Cependant, au-delà de l’évolution des périphériques en vue de la performance, la quête d’une traduction de la sensibilité de l’avatar vers notre propre corps est aussi à l’œuvre. L’exemple de la technologie dualshock est assez représentatif de cette recherche de sensibilité. (Voici un petit lien concernant l’évolution des contrôleurs, bien que la liste ne soit pas exhaustive : ICI

 

Concernant l’ordinateur, on entend souvent dire que les choses ont peu évolué en matière de souris,1-9-352557-22contrôleur, que nous en sommes toujours réduits à utiliser claviers et souris pour jouer. Récemment, d’ailleurs, l’entreprise Valve (éditeur du portail STEAM) frustrée par le manque d’innovation concernant le matériel informatique annonçait sa volonté de devenir un des acteurs de ce secteur.  Voici un extrait de la communication : « Valve est traditionnellement une société de logiciels. Les plateformes ouvertes comme les PC et Mac sont importantes pour nous, car elles permettent à Valve et à nos partenaires d'avoir une relation solide et directe avec les clients. Nous sommes frustrés par le manque d'innovation dans le secteur matériel informatique, donc nous sautons dedans. Même des produits de base, tels le clavier et la souris, n'ont pas vraiment changé de manière significative ces dernières années. Il y a un réel manque sur le marché, et les possibilités de créer des expériences utilisateur intéressantes sont négligées. » (http://www.pcinpact.com/news/73560-valve-se-dit-frustre-par-manque-dinnovation-dans-secteur-materiel.htm)

 

Il est vrai que, sous certains aspects, la souris semble être à l’informatique ce que le papier toilette est à l’hygiène, quelque chose qui en dépit de légères améliorations n’a pas trouvé de substitut qui puisse réellement le remplacer, bien que la fiction nous annonçait d’autres solutions comme les trois coquillages (Démolition Man 1993). Plus sérieusement, bien que l’on doive avouer que les choses n’ont pas évoluées de façon significative de ce côté là, il n’est pas impossible que notre frustration réside dans une tendance, toujours plus phantasmatique, à vouloir réduire notre distance avec la technologie tout en conservant une certaine sensibilité. Faire corps avec la technologie reste, de nos jours, encore de l’ordre de la fiction et ce ne sont pas les dispositifs tels que Kinect qui pourraient changer la donne. Si ces dispositifs font tomber la mise à distance qu’engage le contrôleur, ils ne renforcent pas pour autant l’appréhension sensible du monde virtuelle (à supposer qu’on veuille parler de sensibilité concernant ceux-ci, il ne s’agit que de proprioception).

souris,1-4-352552-22

 

Les quelques images de souris « hors du commun » peuvent nous rappeler cette attitude phantasmatique, en particulier avec la « Glow-In-The-Dark Spider Computer Mouse » du Smithsonian Institut  ou avec la « The sheep dyed natural death » proposée par Ivan Mavrovic. En effet, il est intéressant de voir comment ces contrôleurs rapprochent le technologique de l’organique. Cependant, nous devons tout de même noter que ce rapprochement met en exergue une certaine difficulté puisque l’organique, bien qu’il soit considéré, n’est plus de l’ordre du vivant. L’araignée ainsi prisonnière a beau être réelle, elle n’en reste pas moins morte, de même que c’est bien à la dimension cadavérique du vivant que nous renvoie la souris réalisée à partir d’un crâne de mouton. Doit-on y voir là un message ? Doit-on considérer que l’alliance du technologique et de l’organique ne peut produire que du mort ? Doit-on accepter que cette tendance ne puisse dépasser la sphère du phantasme ?

 souris,1-7-352555-22

Bien que l’intérêt pour le cyber-organisme s’est largement développé ces trente dernières années, avec des productions comme Terminator, Ghost in the Shell, ou eXistenZ, l’engouement pour la question de l’imbrication entre l’organique et le technologique n’est pas d’hier.

Probablement issue d’une conception du corps telle que celle que nous présente Descartes, réduit au simple agencement de pièce de mécanisme, l’interchangeabilité des pièces, le perfectionnement du corps, le dépassement de son caractère corruptible et plus généralement le combat face à sa finitude, sont vite devenus un phantasme. Bien qu’elle en prenne le contre pied, l’œuvre célèbre de Mary Shelley (Frankenstein) témoigne de cette tendance phantasmatique. L’ouvrage pose d’ailleurs la question de l’alliance entre le technique et l’organique car, en dépit du célèbre « It’s Alive » crié par Victor Frankenstein, la créature n’est pas à proprement dit un vivant. En effet, au-delà de mettre en évidence le fait que l’homme ne se résume pas à un assemblage d’organe, il est aussi question du fait que le tout est toujours supérieur à l’ensemble des parties concernant le vivant. Le teint blafard, le pas lourd et maladroit, le regard vide sont autant d’éléments qui rapprochent plus la créature de Frankenstein du mort mis en mouvement que du vivant (il serait peut-être intéressant de regarder ce personnage à partir de réflexions sur le thème du zombie).

 

 

Plus récemment, en 1999, Existenz (film de David Cronenberg) réalise cette fusion du technologique et de l’organique avec cette idée d’un port (comme un USB) placé à la base de la colonne vertébrale auquel on connecterait une console. Cette vision donne au technologique une certaine forme de sensualité et même, par certains aspects, nous pourrions parler d’une dimension presque sexuelle de la relation entre le technologique et l’organique. En effet, plus qu’une simple connexion qui permet au joueur de jouer à un jeu projeté dans son propre esprit, il est question de la mise en place d’un orifice non naturel dans lequel vient pénétrer un corps extérieur.

Exisenz

D’ailleurs, concernant ce qui vient prendre place dans cet orifice, nous sommes en présence d’une technologie qui a, elle-même, dépassée sa forme classique pour se présenter comme quelque chose d’organique. Des hommes pourvus de port USB et des consoles charnelles, le mélange des genres produits un problème de différenciation des corps (parfois dérangeante) qui témoigne de l’importance de l’identité corporelle dans le maintient de l’identité psychique, puisque l’indistinction de ce qui est réel et de ce qui est virtuel est palpable. Ainsi, si le film ne nous met pas en présence de la dimension cadavérique d’un organisme, le joueur d’eXistenZ n’en est pas moins un esprit presque désincarné. Certes, il se situe toujours dans son corps mais la transformation du corps en change fondamentalement la signification. Le corps cesse d’être un lieu clôt où repose la conscience, il devient un support, une plateforme, pour une ouverture infinie sur de multiple univers virtuels. Envisagé de cette façon, le corps devient lui-même une console et, faute d’endroit où reposer, la conscience n’est plus au repos mais se situe dans la pérégrination incessante des mondes virtuels.

 

En 2004, avec Ghost in the Shell 2 : Innocence que propose Mamoru Oshii, la question est relancée sous une autre forme et elle intervient principalement avec le personnage de Kim. Celui-ci s’est destiné à la cybernétisation totale de son propre corps, il s’engage à faire le mort car, selon lui, la mort constitue la condition première de la vie pour une poupée.

Ici encore, il est intéressant de voir comment le mélange de la technologie et de l’organisme (même réduit à son strict minimum) constitue un phantasme et produit quelque chose qui n’est plus, à proprement parlé, de l’ordre du vivant. Frustré de l’imperfection humaine liée à la conscience de soi, Kim tend à se rapprocher de la perfection propre aux dieux et aux poupées par son auto-cybernétisation. Toutefois la représentation de celui-ci fait fortement écho à un type d’état qui peut placer l’homme aux frontières de la mort et de la vie, à l’état végétatif qui fait tant débat en vertu de la dignité humaine et soulève les questionnements liées à l’euthanasie. En effet, s’il en reconnait la perfection, Kim a beau faire il n’est fondamentalement pas une poupée et quoi qu’il rejette sa nature première d’homme, il reste pourvu de la conscience de soi. Cela le place dans cette situation de vivant humain en attente de la mort qui, peut-être, fera vraiment de lui une poupée et lui octroiera la perfection. Quoi qu’il en soit, Kim n’en est pas encore là et le film nous le présente comme un être piégé par sa propre conscience devant le poste frontière qui sépare le vivant du mort.

 

 

À l’issue de tout ceci, si nous pouvons comprendre la frustration qu’engage la faible évolution technologique de certains dispositifs de contrôle, il nous semble que la représentation phantasmatique de cette possible évolution ne puisse (ou ne doive) pas dépasser la sphère du phantasme. Si de nouveaux dispositifs pourraient permettre de réduire notre distances vis-à-vis des univers virtuels et engager de nouvelles expériences, il est possible que l’immersion pure nous soit (ou doivent rester) inaccessible. En effet, en dépit du culte de la cybercorporéité et/ou de l’organicité technologique, il semble que toutes tentatives allant dans ce sens seraient vouées à produire quelque chose qui romprait la frontière du vivant et du mort, autant de forme monstrueuses, fantomatiques ou végétatives.

 

Photos issues du site Tom’s Guide : http://www.tomsguide.fr/article/souris-jeu-video-design,5-383.html

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité