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Ludosophie : Les jeux vidéo pris au sérieux
28 octobre 2012

Le jeu pour comprendre la société, des Super Héros pour comprendre la philo

Aujourd’hui je vais m’intéresser à deux livres qui méritent le détour et dans lesquels je suis, moi-même, plongé en ce moment. Le premier est un ouvrage de l’ordre de la recherche et le second se positionne plus comme un manuel pédagogique. Commençons par le premier :

 

La société en jeu,de Sylvie Craipeau (Le laboratoire social des jeux en ligne, Paris, Puf, 2011.), est un ouvrage de sociologie qui s’intéresse principalement aux jeux massivement multi-joueurs.

S, Craipeau

Si le jeu vidéo, lui-même, constitue un phénomène social qui mérite d’être étudié, l’auteur ne s’en tient pourtant pas à cette simple analyse. Plus qu’un phénomène social, le jeu est envisagé comme un outil de compréhension de notre société et un mode par lequel émergent de nouvelles pratiques sociales. Particulièrement intéressant, on notera que l’auteur, qui se décrit, elle-même, comme peu adepte des pratiques vidéo ludiques et numériques, témoigne d’un souci d’objectivité dans la rédaction de ce livre. L’enjeu n’étant pas, ici, d’en faire un commentaire détaillé et vous invitant à le lire, je vous fais part d’un lien à partir duquel vous pourrez trouver un résumé des différents chapitres de cet ouvrage : http://lectures.revues.org/6641

Cependant, j’aimerai noter les points forts de ce bouquin car s’il évoque bien l’idée de conduites excessives ou d’addiction, il le fait d’une manière intéressante qui ne vise pas à culpabiliser le joueur, ni à diaboliser le jeu vidéo. En effet, ce qui est présenté rend compte du fait que les conduites excessives, ou les cas proches d’une forme d’addiction, sont moins un problème engendré par le jeu que l’une des conséquences possibles liée à la configuration de nos sociétés occidentales.

Nous pouvons, par exemple, citer la question de l’identité individuelle qui s’est détachée ces dernières années de la notion de statut professionnel et/ou social, masquant les compétences et talents au profit d’une identification par la monstration consistant à faire de la « com » sur soi-même (comme le cas de la télé réalité). Cette tendance sociale qui engage l’individu à se mettre en avant, l’enjoint surtout à faire en sorte que l’image qu’il véhicule puisse déjà laisser transparaître un certain nombre de ses talents et lui permettre d’être reconnu. Toutefois, il reste assez difficile d’accéder à ce type de reconnaissance dans notre société, tant parce que cela engage qu’un œil attentif soit porté sur l’individu, que parce qu’en dépit de l’attention portée sur l’individu l’observateur doit être en mesure de déceler les talents derrière celui-ci.

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Or, le jeu vidéo et plus particulièrement des MMORPG tel que World of Warcraft, qui suivent aussi cette logique de l’identité individuelle, parviennent à fournir cette reconnaissance bien mieux que les structures de nos sociétés. D’une part, le jeu évite les parasitages qui conduiraient à perdre de vue ce qui doit être reconnu puisqu’ici on ne regarde que le joueur, peut importe qu’il soit jeune, âgé, homme, femme, petit, gros, grand, maigre, brun, blond ou roux. Le joueur est un joueur et ce que l’on reconnait est avant tout son stuff, qui est directement appréhendable, ainsi que son niveau. D’autre part, concernant la reconnaissance, l’individu du monde virtuel étant bien plus visible que ne l’est l’individu de nos sociétés réelles, sa simple apparence témoigne de ses compétences et talents dès lors que l’équipement qu’il arbore ne s’obtient généralement ni par chance, ni par héritage, ni par condition sociale, ni même par affection mais par une activité proche du travail qui mobilise de nombreux efforts et beaucoup de temps passé. Ainsi, si ce livre aborde les questions de conduites excessives et/ou addictologiques, ce n’est que pour relever que le jeu ne peut être tenu pour responsable dans  l’apparition de celles-ci. Au contraire, l’ouvrage s’engage à montrer que ces problèmes relèvent de l’incapacité de la société à fournir la reconnaissance nécessaire aux individus, bien que ces derniers répondent aux attentes de celle-ci.

Par conséquent, l’ouvrage fait preuve d’une analyse fine et variée, situant la position du jeu vidéo en s’appuyant sur des données statistiques dans un premier temps, pour aborder de nombreux thèmes par la suite (comme la place du corps, la notion de temps, etc.) en ne perdant pas de vue la relation qui existe entre les pratiques sociales des univers numériques et celles de notre société. Bien que l’on puisse reprocher au livre d’être privé d’une partie bibliographique qui listerait l’ensemble des ouvrages et références sur lesquels s’appuie l’auteur, le texte reste relativement bien écrit et particulièrement accessible. Dans l’ensemble un ouvrage intéressant qui mérite que vous vous y arrêtiez.

 

Penchons nous maintenant sur le second ouvrage qui n’a pas pour thème les jeux vidéo mais qui témoigne d’une grande originalité et qui, contrairement aux apparences, n’est pas qu’une simple « geekerie ». Ainsi, Super-Héros et philo, de Simon Merle (Éditions Bréal, Paris, 2012) est un ouvrage qui se présente comme un manuel pédagogique pour appréhender la philosophie  de façon ludique.

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Au milieu du blanc et des tons ternes, ce livre aux couleurs « flashies » ne passe pas inaperçu dans le rayon philosophie d’une librairie. Un fois en main, le titre intrigue au point de se demander s’il s’agit d’une provocation mais nous pousse à aller plus loin. Une fois ouvert, là où un ouvrage classique se contente de mots, celui-ci séduit l’œil par ces nombreuses images issues des comic’s de DC Universe et de Marvel, au point de nous faire douter du sérieux du livre. Mais qu’y a-t-il derrière cet emballage ? Doit-on juger un ouvrage de philosophie à sa forme ? La philosophie doit-elle être terne et iconoclaste ? Le doute qu’engage l’originalité de ce livre, suivi d’une curiosité et de l’envie de le regarder en profondeur, m’ont conduit à en faire l’acquisition et à me risquer dans cette lecture peu commune.  

C’est donc à partir de la figure des Super-Héros que ce livre tente de nous permettre d’appréhender la philosophie. Ce sont des personnages comme Batman et Superman, en passant par Daredevil, Spiderman ou encore Iron Man, qui sont à l’honneur pour illustrer des thèmes philosophiques comme l’identité, la justice, la morale, la responsabilité, etc. Bien que l’on puisse regretter que l’ouvrage se centre principalement sur des Super-Héros portés au cinéma, première critique possible, il faut reconnaitre que celui-ci n’a pas pour enjeu de faire découvrir les comic’s. Cette restriction aux Super-Héros portés à l’écran trouve sa légitimité dans le fait que ce livre est, avant tout, destiné à un large public pour lui permettre de découvrir la philosophie. Par conséquent, il respecte ses engagements en ne multipliant pas les cadres d’étrangeté et de nouveauté pour le non initié mais propose, par ces figures connues du grand public, un lieu commun suffisamment parlant à l’ensemble des lecteurs pour appréhender un cadre qui, peut-être, leur est étranger, à savoir : la philosophie. Et les Super-Vilains dans tout ça ?

Ivenom-6l est vrai que l’auteur ne s’attache pas à développer ce point, ce qu’il assume dès le début de l’ouvrage en précisant : « Le mal n’a nullement besoin d’être incarné par des êtres d’exception pour s’imposer dans le monde. » (page 9). D’ailleurs, si, de prime abord, cet argument paraît insuffisant et s’il peut nous conduire à penser qu’il s’agit là d’une façon d’éluder la question, on remarque au fil des pages que le traitement des Super-Méchants est implicitement présent et résonne comme l’échec du Super-Héros face à ses propres démons intérieurs. À travers la thématique du don de soi pour la communauté, de la négation de ses désirs personnels au profit du bien de tous (l’incapacité pour Spiderman d’entretenir une relation amoureuse avec Mary Jane, par exemple), de la perte de l’identité personnelle au profit du symbole (Batman), de la mise à l’écart de la société en agissant en dehors de la loi pour rétablir la justice, nous voyons les tourments qui agitent le Super-Héros et comment pourrait naître le Super-Méchant (de Spiderman à Venom, par exemple). Par conséquent, le traitement du Super-Vilain n’apparait donc pas nécessaire. Toutefois, la notion de Super-Héros reste large et l’on pourrait se demander comment l’auteur maintient le cadre de son analyse.

 

Encore une fois, les frontières du Super-Héros sont délimitées dès le début du livre puisqu’il est clairement indiqué que les représentations utilisées seront celles définies historiquement dans les comic’s, celles qui seront remises sur le devant de la scène dans le cadre du cinéma et des jeux vidéo. Certes, il s’agit là d’un parti pris consistant à exclure des personnages tel que Robin des bois ou encore les héros de l’antiquité, toutefois nous devons avouer que ces personnages, bien qu’ils s’en rapprochent sous certains aspects, ne bénéficient pas historiquement de l’appellation Super-Héros, étant plutôt des justiciers ou des hérauts conducteurs de cavales comme ceux que présente L’Iliade d’Homère. Mais la philosophie dans tout ça ?

Ne s’agissant pas d’un ouvrage de recherche, on reste sur quelque chose d’assez général qui pourra, peut-être, laisser certains lecteurs sur leur faim. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage respecte encore une fois ses engagements puisqu’il ne prétend pas être autre chose qu’un manuel pédagogique permettant, autant qu’il se peut, d’appréhender la philosophie à partir de figures contemporaines probablement plus parlantes pour de jeunes élèves que les références classiques (mythe de la pierre de Sisyphe, mythe de Prométhée et Épiméthée, etc.) et de façon ludique. Ainsi, si la forme change de ce qu’on a coutume de retrouver dans un livre de philosophie, sur le fond, les références philosophiques sont bien présentes et référencées pour appuyer l’analyse des différents thèmes. De Platon à Hans Jonas, en passant par Pascal, Hobbes, Descartes, Kant ou encore Sartre, vous ne serez pas en reste quant au discours philosophique et la forme, si originale soit-elle, ne vient en aucun cas en amputer le fond.

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Par conséquent, un livre à découvrir qui n’a pas la prétention d’être un ouvrage de recherche, ni de pouvoir se substituer à un manuel de philosophie de terminale mais qui peut constituer un bon complément, aux côtés du manuel classique de l’élève qui découvre cette nouvelle matière, qu’est la philosophie, dans sa dernière année de lycée et lui permettre de l’appréhender plus facilement.     

      

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