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Ludosophie : Les jeux vidéo pris au sérieux
15 mai 2013

La réponse d'Hagstrom à l'article : Le jeu vidéo de droit

Trouvant le commentaire d'Hagstrom particulièrement pertinent en réponse à l'article : Le jeu vidéo de droit, je me permets de le mettre en avant et de lui offrir plus de visibilité sur ce blog. En le remerciant. Voici :

 

Article très intéressant comme toujours, il est vrai que l’expansion du jeu vidéo gagnant de plus en plus de secteurs il serait pertinent de se poser la question des opportunités professionnelles pouvant lui être liées. Si on élargit un peu la réflexion, on constate déjà qu’au niveau de la création des jeux le nombre de postes à littéralement explosé en 20 ans. Ça parait bête de le rappeler mais pendant longtemps le seul moyen de travailler « dans le monde du jeu vidéo » et bien c’était d’en réaliser soi-même. Les joueurs étaient aussi des programmeurs et les candidats étaient rares car faire un jeu c’était considéré avant tout une passion d’avantage que comme un métier. Alors qu’est ce qui a changé ? Hé ben le pognon ! Car l’industrie vidéo-ludique c’était près de 60 milliards d’euros en 2012. Un réel business qui emploi des centaines de milliers de personnes entre conception, marketing, production…

Bon j’élude un peu le problème initial mais ce petit rappel contextuel me semble important. Car finalement la question posée par Darken n’est pas de savoir si le jeu vidéo peut être un travail, car cela me semble évident à plus d’un titre, mais bien si « jouer » c’est « travailler ». Et là on tombe dans des problématiques que le jeu vidéo partage avec d’autres disciplines : l’art et le sport. Dans ces deux cas, on admet (avec plus ou moins de bonne foi) que jouer c’est travailler. Que ce soit jouer au foot au jouer la comédie, ces métiers sont reconnus et font l’objet de statuts particuliers. L’analogie est également intéressante dans le sens où elle traduit la difficulté qu’a le jeu vidéo à se positionner entre art et sport (on a déjà eu à ce sujet un débat concernant la notion de « journaliste » de jeux vidéo qui pour moi est à comparer avec le journalisme sportif ou le critique littéraire).

D’un côté on considère le fait de jouer comme un plaisir, une passion pouvant aller jusqu’à produire des joueurs de haut niveau. Jusque-là, aucune différence avec un artiste, comme un guitariste par exemple. Un guitariste « travaille » son instrument, il peut « étudier » le solfège, les groupes même amateurs tout comme les guildes « recrutent » sur le web et il est possible d’envisager une rémunération même pour un amateur. Musicien professionnel est un métier et pourtant on conserve l’équation entre jeu et travaille. Du côté des artistes nous avons également tous ceux qui vivent du jeu vidéo et qui proposent une prestation tournant autour de cette activité. On peut mettre dans cette catégorie les présentateurs qui mettent en scène le jeu comme Marcus, les chroniqueurs et critiques de jeux, ou bien les artistes évoluant dans ce domaine comme la chaîne de TV indépendante NOLIFE ou l’équipe de NESBLOG avec USUL et compagnie. Toutes ces personnes vivent du jeu vidéo et ils sont bien finalement payés pour jouer, en tant qu’intermittent du spectacle pour la plupart ce qui traduit parfaitement le rattachement de cette discipline à l’art.

De l’autre côté nous avons l’idée que jouer c’est maîtriser un ensemble de techniques, théoriques et pratiques qui constituent le skill, la faculté à réaliser des actions de façon optimisée. C’est le résultat que l’on vise ici et non la manière de faire. Nous rejoignons donc bien ici la position de John Rawls car l’objectif d’une guilde est la réussite de la mission et non le style ou la manière dans elle est réalisée. A haut niveau on troque bien souvent la dimension esthétique, immersive, contre une réalisation directe et optimale des actions. C’est l’opposé absolue de la vision artistique du jeu dans laquelle seule la manière compte (Marcus par exemple fait des démos de jeu en jouant comme un manche et cela ne vient pas dénaturer l’expérience de ce qu’il propose) d’autre ne s’intéresse qu’à l’exploitation de cette dimension esthétique du jeu dans laquelle la réussite est parfaitement secondaire. Mais pour un joueur qui ne vise que le résultat, le jeu n’est pas un art mais une discipline dans laquelle seule la victoire compte. Là encore les joueurs on réussit à trouver leur place grâce à l’émergence de l’e-sport qui rémunère de manière assez conséquente ses poulains. Les entraînements, les tournois, tout est en tout point identique à un sportif de haut niveau recherchant la performance et la victoire.

Pour résumer mon point de vue je dirais que le jeu et le travail ne sont pas opposés, et nous admettons d’ailleurs cette adéquation dans de nombreuses disciplines. Le jeu vidéo n’est pas une exception, mais notre difficulté de positionnement vient du fait que ce domaine est plus ouvert que les autres. Il peut se présenter tour à tour comme un processus créatif et comme un ensemble de techniques formant une discipline. C’est le point de vue du joueur qui fait la différence, et cette vision est aussi déterminante que la différence de « jeu » qui existe entre un comédien et un rugbyman.
Mais pour chacun travailler est bien jouer et inversement. Or si on a la notion de travail il devient possible d’en faire son métier, c’est l’investissement qui change la donne, comme lorsqu’un musicien amateur passe pro ; son jeu et son art deviennent un travail et un métier, seule la passion (peut) reste(r) intacte. La première erreur serait de croire que le travail est quelque chose de néfaste qui dénature notre activité et c’est malheureusement l’idée que beaucoup de personnes s’en font. L’autre erreur est de s’enfermer du côté de la productivité et de l’efficience comme Rawls en oubliant que la manière de faire, l’esthétique, est tout aussi importante (et productive) que le résultat, la victoire ou la réussite. C’est de cette tempérance que nous permet de prendre conscience la vision artistique du jeu. Dire que le travail c’est réussir, produire et gagner me semble une vision un peu simpliste inspirée par une vision du monde trop imprégnée par le modèle capitaliste.

Pour finalement en revenir aux opportunités professionnelles à proprement parler il est clair pour moi que le jeu vidéo est une source considérable de métiers concrets. De la création, production, markéting, aux bloggeurs, artistes, surper players et joueurs d’e-sport, tous vivent du jeu vidéo. Et concernant la question de la légalité et du statut tout est possible : salariés, auto-entrepreneurs, intermittents du spectacle, sportifs… Et n’oubliez pas que le droit commun protège tout autant que le droit du travail, vous pouvez parfaitement rédiger vous-même votre contrat avec les closes de salaire, paiements, durée… Il aura la même valeur que le contrat de votre RH… et ce type de document pourrait parfaitement être utilisé entre un particulier et une guide en statut associatif ou d’entreprise comme c’est le cas pour les ligues professionnelles d’e-sport. En somme le jeu ne se distingue du travail que par l’investissement qui lui est apporté et la volonté mise en œuvre. Vous pouvez jouer au tennis toute votre vie au club du coin ou gratouiller la guitare avec vos potes le samedi, la seule chose qui vous distingue de Djokovic ou d’Andy Mckee c’est précisément la notion de travail et celle-ci ne remet aucunement en cause la notion de jeu.

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