Illumi Room : Projection du désintéressement du monde
Illumi Room ce projet de Microsoft n’est-il qu’un gadget de plus en vue de réaffirmer les possibilités de la technologie Kinect ou une réelle innovation vidéo ludique ?
Les images que présente la vidéo qui précède sont surprenantes. Analysant la topologie de votre salon, Kinect sera capable d’en estimer la configuration afin d’y projeter les parties de l’image qui échappent au champ de vision que propose l’écran. Faisant écho à la Wiimote dans sa façon de délocaliser le jeu hors de son réceptacle habituel qu’est l’écran de télévision, Illumi Room marche vers ce rêve fou de l’immersion totale dans un univers virtuel.
Il ne semble pas encore être question, pour le joueur, de se déplacer à sa guise dans un univers virtuel. Celui-ci soit toujours tenu face à sa télé, il ne semble pas non plus qu’on soit près de voir des PnJ s’activer dans notre salon ou s’assoir à nos côtés sur le canapé. Ainsi, l’écran, point névralgique de l’action, restera le point focal le plus important sur lequel le joueur devra se concentrer. Par conséquent, nous pouvons nous interroger sur l’intérêt de ce nouveau dispositif, si ce n’est le fait de faire office de vitrine technologique. Que peut-il réellement apporter de plus à l’expérience vidéo ludique ?
Dans l’attente d’en savoir plus sur cette nouveauté que nous prépare Microsoft, nous pouvons déjà dire qu’à défaut d’enrichir à coup sur l’expérience vidéo ludique, celle-ci confirmera le fait que l’existence du monde reste fondamentalement liée à celle du sujet. En effet, ce dispositif projetant les parties d’un monde dépourvu d’action et/ou de la possibilité d’y exprimer ses propres volontés, n’apparait que comme la projection d’un monde sans nous. S’il est objectivement présent, il n’en reste pas moins qu’il s’agit du monde que nous délaissons, du monde furtifs à côté duquel nous passons sans y prêter la moindre attention.
Comme le bâtiment devant lequel nous passons tous les matins en allant au travail, sans pour autant être capable de dire de quoi il s’agit, ce monde que nous propose Microsoft semble d’avantage ressembler à l’engagement de la banalité dans les mondes virtuels.
La réalité du monde n’a de sens que par l’attention que nous lui accordons. C’est notre façon de nous focaliser sur telle ou telle partie de celui-ci, d’établir par nous-mêmes un point de focalisation – centre de notre intérêt – que le monde fait sens et ce de façon différente pour chacun de nous.
Cela va au delà des propriétés génétiques et/ou neurophysiologiques de l’individu, ou d’un peuple particulier, conduisant certains à avoir des points focaux différents. Ainsi, il n’est pas seulement question de capacités propres à chacun de repérer des choses différentes (par exemple, les Inuits dont la gamme chromatique est bien plus riche que celle d’un occidental concernant l’identification des teintes de blanc), mais bien de la capacité de tous à se détourner de certaines parties du monde qui n’entre pas dans le champ de notre espace de focalisation que nous nous donnons à nous-mêmes.
Les questionnements, que Illumi Room semble déjà pouvoir amorcer, pourraient résider dans les problématiques relatives à l’Attention. Souvent, dès notre plus jeune âge, l’attention est une capacité que l’on nous impose de mobiliser et le fait de ne pas être attentif draine généralement quantité de termes dépréciatifs (fainéantise, désintéressement, manque de concentration, passivité, problème, trouble, etc.). Le cadre scolaire pose l’attention comme une capacité nécessaire au bon déroulement de l’apprentissage des individus, ainsi que comme l’attitude naturelle que doit adopter l’élève. Or, il ne va pas de soi que l’attention soit une attitude naturelle de l’être humain. D’ailleurs, comme le laisse entendre certaines branches du pragmatisme philosophique (William James, par exemple), celle-ci consisterait plutôt en une attitude du sujet proche de la sélection d’éléments sur lesquels se focaliser, par exclusion d’autres éléments. Cela n’est pas non plus sans rappeler l’Époché phénoménologique de Husserl consistant à la mise entre parenthèse de certains éléments afin de parvenir à la compréhension d’une chose. D’une certaine façon, l’attention est d’abord une intention, entendue comme une relation intentionnelle du sujet à l’égard d’une certaine partie du monde au détriment des autres.
Ainsi, si Illumi Room nous propose d’étendre le monde au-delà de notre point de focalisation, de l’étendre au-delà de notre attention et de la part sur laquelle l’on se concentre intentionnellement, alors ce dispositif n’aura à proposer que l’expérience du désintéressement naturel du monde. En effet, hors des parenthèses, ce monde n’a pas d’intérêt car, dès lors que nous nous en détournons, celui-ci ne fait pas sens.