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Ludosophie : Les jeux vidéo pris au sérieux
31 janvier 2013

Un monde qui joue avec nous, un cadre indépassable

S’il est des jeux qui ont pour particularité de nous émanciper du cadre rigide de l’espace et du temps (comme nous avions pu le voir dans un précédent article concernant un TAS de Mario 64), il en est d’autres qui nous rappellent fortement le caractère indépassable de ces formes a priori pures de l’intuition sensible (comme les nomme Kant, Critique de la raison Pure, chap. L’esthétique transcendantale).  

 

BomberMan, qu’il soit en 2D ou en 3D, voici un soft bien connu des gamers. Avec un gameplay, un level design et un character design épurés (à la limite du mignon), le jeu n’en est pas pour autant pauvre. Accessible, simple, efficace… Le jeu est surtout connu pour sa capacité à être fun et à animer les soirées en multijoueur

.BM

Ce qui apparait au premier abord dans BomberMan, c’est qu’il y est question de confrontations dans lesquelles les joueurs s’affrontent à coup de bombes. Régie par un chrono, la partie se termine lorsque le temps est écoulé ou lorsque tous les adversaires ont été éliminés. Le gagnant est évidemment celui qui est toujours en jeu à la fin du chrono ou le dernier sur le plateau de jeu.    

 

Le premier point qui a suscité mon attention est la position des joueurs en début de partie. Si l’on joue à cinq, on remarque que les personnages sont placés de façon équidistante à chaque angle du plateau, le cinquième protagoniste se trouvant en son centre. Ainsi, c’est dans une position d’équité que sont placés les joueurs les uns à l’égard des autres. Toutefois, il y a quand même un élément avec lequel les joueurs sont mis en confrontation d’entrée de jeu. Il s’agit du monde.

 

En début de partie, les possibilités de déplacement des personnages restent particulièrement limitées sans être inexistantes. Il est d’ailleurs intéressant d’observer que le jeu met en scène l’idée selon laquelle un univers dans lequel existerait des êtres animés, ou des objets qui pourraient être mus, doit bénéficier d’une condition nécessaire et suffisante. Cette condition c’est le vide, envisagé ici comme condition de possibilité préalable à tout mouvement.  

BB5

S’il est en partie présent dès le départ, l’extension du vide et, a fortiori, des possibilités de mouvements, et ce vers quoi va tendre le joueur en utilisant des bombes. Avant d’éliminer ses concurrents, les bombes ont la valeur d’outils créateurs de vide. Ainsi, le monde rigide qui se présente comme premier objet de confrontation s’ouvre et se soumet aux volontés du joueur.

 

Bien entendu, ceci n’est pas sans rappeler l’affirmation de l’homme sur la nature et même de la culture sur la nature, puisque « la bombe » reste un objet issu du développement d’une technique, de recherche et d’un savoir faire humain. Mais, il s’agit aussi d’une exploitation du monde, d’une exploitation de ses ressources dès lors que les blocs du plateau que l’on fait exploser peuvent délivrer des items utiles à la progression du joueur (rapidité accrue, triple bombes, possibilité de jeter une bombe ou un concurrent au loin, etc.).

BBW

Une fois cette volonté individuelle apposée au monde, la convergence de celle des différents concurrents engage nécessairement la rencontre de l’autre. Là, ce qui est particulièrement intéressant c’est que la valeur des éléments du jeu change jusqu’à s’inverser pour certains d’entre eux.

Si les autres joueurs n’étaient jusque là que des concurrents, c’est vers la dimension d’ennemis qu’ils tendent par l’ouverture de ce monde initialement rigide. D’autre part, le monde lui-même change de valeur puisque de contrainte, il se transforme subitement en un allié avec lequel il devient nécessaire de composer, en se cachant derrière divers blocs, pour éviter la déflagration des multiples bombes.

Comme vous le savez, au terme de cette rencontre avec autrui, il ne devra en rester qu’un. Devenu outils, le monde perd de son importance puisque l’enjeu est maintenant de s’affirmer face à autrui. Toutefois, cette lutte n’a rien d’interminable et son prolongement ne fait qu’appeler vers le joueur le retour d’un monde encore plus écrasant.

En effet, comme nous l’avons dit, la partie est régie par un chrono et arrivé au terme de celui-ci, c’est la réaffirmation du monde sur les joueurs qui s’amorce. La guerre face à autrui devient obsolète face à un monde qui retourne vers son état de rigidité premier, comblant les vides par la chute de nouveaux blocs.

BBW2

Gagner, c’est subsister en dépit de cette cristallisation du monde. Cependant, gagner c’est aussi perdre… Perdre tout élément motivant notre propre mobilité. N’ayant plus personne à affronter, l’existence du personnage se résume à celle d’un condamné dont l’affirmation l’a conduit à assurer sa sécurité mais cela au pris de vivre dans une geôle. Finalement, il n’y qu’un seul vrai gagnant, à savoir : le cadre spatio-temporel.

S’il est l’ennemi le plus discret, le monde est aussi le plus pervers en ce qu’il joue à nous faire croire que nous pourrions nous extirper, et même dépasser, sa puissance. D’ailleurs, dans certains BomberMan, bien qu’il soit possible de continuer de jouer hors du plateau (suite à une « mort »), il n’est pour autant jamais question de dépasser ce cadre. D’une part, sortir du plateau de jeu ne permet pas d’échapper au temps que définit le chronomètre. D’autre part, en dehors du plateau, le joueur n’est pas doté de pouvoir transcendantaux mais, au contraire, il se situe plutôt dans un arrière monde qui, comme un voile de silence, ampute ses possibilités d’action.

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