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Ludosophie : Les jeux vidéo pris au sérieux
6 juillet 2012

Super Mario 64 au-delà des conditions de possibilité a priori nécessaires et suffisantes de l’existence.

 Je vous présente un « tool assisted speed run »… De quoi s’agit-il me direz-vous ? Et bien voici la définition qu’en donne Wikipédia : « Un tool-assisted speedrun, parfois abrégé en TAS, est un speedrun d'un jeu vidéo réalisé à l'aide d'un émulateur et d'outils inaccessibles à des joueurs à la manette, comme le ralenti et le réenregistrement (re-recording), qui permet de recommencer n'importe quel passage du jeu autant de fois que l'on souhaite. Ces outils permettent de s'affranchir des limites humaines en termes de compétences et de réflexes, et d'utiliser ainsi des techniques qui seraient bien trop compliquées, voire impossibles à mettre en œuvre sans l'aide de ces outils ».

Ce « TAS » se divise en deux parties, la première s’intéressant à Super Mario 64 et la seconde à Zelda Ocarina of time (tout deux sur Nintendo 64). C’est la première partie qui nous intéressera particulièrement à la lumière du questionnement de l’existence a priori de l’univers vidéo ludique. Précisons avant tout que nous entendons par « a priori », ce qui se produit à l’origine et en premier, ce qui ne peut admettre que quelque chose le précède, ce qui est avant toutes choses. D’autre part, les jeux vidéo étant des médias vidéo, nous pouvons dès à présent statuer sur le fait que ceux-ci mobilisent notre perception et stimulent nos sens (vue, ouïe et touché). Voici la vidéo du « TAS » :

 

Ainsi, vous vous en doutez peut-être, nous sommes ramenés vers les problématiques kantiennes dès lors qu’il est question de la relation qui existe entre les perceptions du joueur, sa capacité à les analyser et à formuler des jugements pour évoluer dans le monde qui lui fait face. Or, à titre de rappel, bien que la conception kantienne revalorise la place de l’expérience dans l’appréhension du monde par le sujet et nous indique que l’entendement à lui seul ne suffit pas à comprendre l’ensemble du monde (car il « tournerait à vide »), pour autant, l’expérience à elle seule ne suffit pas non plus et ne peut être à l’origine des premières formes de jugement. En d’autres termes, il existe une catégorie de jugements qui interviennent sans expériences préalables et c’est ceux-là même que Kant nommera « jugements synthétiques a priori de l’intuition sensible ». Ainsi, puisqu’ils sont dits « a priori », ces jugements interviennent avant toutes choses mais, surtout, ceux-ci sont les conditions de possibilité suffisantes (on n’aura besoin de rien de plus) et nécessaires (sans eux rien ne sera possible) de toutes expériences. Alors comment ces jugements interviennent ?

Ceux-ci sont possibles à partir de ce que Kant appellera « les formes pures a priori de l’intuition sensible », qui sont d’une part l’espace et d’autre part le temps. Si nous résumions grossièrement les choses, nous pourrions dire que l’espace et le temps précèdent toutes choses, sont suffisants et nécessaires à l’existence de toutes choses car rien ne peut exister en dehors de l’espace et du temps. D’ailleurs, à leur façon, les lois connues et communément partagées de notre physique vont, elles aussi, le plus souvent, dans ce sens puisqu’en dehors du continuum Espace-Temps, les lois de notre univers n’ayant plus cours, les conditions favorables à l’existence de quoi que ce soit disparaissent, ce qui rend impossible toutes existences.

 

Revenons maintenant au cas de notre « TAS » concernant la partie relative à Super Mario 64. Puisqu’il est question d’un jeu vidéo, nous devons admettre que celui-ci bénéficie d’un univers perceptible qu’est le décor, dans lequel le joueur évolue par le biais de son avatar. Pour y évoluer, le joueur doit en connaitre la physique et pouvoir établir des jugements à partir de ses premières perceptions de sorte que : si un saut simple lui permet de parcourir une distance AðB tous les sauts simples devraient lui permettre de parcourir une distance équivalente, que si tel mur A est un élément de collision pour son avatar alors les murs B, C, D, etc. constituent eux aussi des éléments de collision pour son personnage. Or, ces jugements ne sont pas premiers et ils supposent que le joueur juge de l’existence d’un espace et d’un temps donnés dans lesquels prennent sens les notions de distance, de parcours, de mur, de collision et, même, son avatar et ses sauts. En résumé, ces jugements présupposent l’existence a priori d’un espace et d’un temps.  

Ainsi, c’est ici que le « TAS » révèle toute sa valeur philosophique puisqu’il montre, au delà de la l’impressionnante performance consistant à finir le jeu en 5minutes 04 secondes (au lieu de plusieurs heures), les limites du moteur physique du jeu permettant d’afficher les décors. Pour bien comprendre les choses, il faut remarquer dans la vidéo, qu’un grand nombre de fois, le joueur parvient à traverser les murs et même le sol qui sont pourtant sensés constituer des obstacles pour son avatar (en l’occurrence Mario). Pour comprendre la raison à cela, il faut indiquer qu’il s’agit moins d’un bug au sens d’erreur ou de défaut du programme, que d’une déformation des lois propres à l’univers de Super Mario 64. À ce titre, nous pouvons faire le parallèle entre ce qui se passe ici et ce qui se passerait si, dans notre univers réel, nous exploitions les lois de notre univers au-delà de leur seuil de tolérance comme, par exemple, en faisant se déplacer un objet à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Il en résulterait une déformation du continuum Espace-Temps (ouvrant la voix à de multiples théories que nous ne développerons pas ici) et c’est ainsi qu’il nous semble devoir comprendre ce qui ce passe dans ce « TAS » de Super Mario 64, à moins bien sûr de considérer que nous puissions faire « bugger » notre univers réel (nous écarterons cette hypothèse). Cependant, que se passe-t-il exactement ? Comment le joueur déforme-t-il cet univers ? Quelle(s) loi(s) exploite-t-il au-delà de son (leur) seuil de tolérance ?

 

Pour appréhender ce point, voici ce que nous indique Realmyop (commentateur au côté de Coeurdevandale) par ce commentaire : « Le jeu n’existe que tous les 60ème de seconde, si l’on va plus vite que le temps de l’existence du mur, on va passer à travers. ». Ce commentaire fait, une fois de plus, écho aux paradoxes physiques qu’engagerait le dépassement du seuil de tolérance d’une loi physique telle que celle de la vitesse de la lumière. De fait, ici, si l’univers vidéo ludique peut être déformé, ceci intervient par dépassement du seuil de tolérance de la loi d’affichage du moteur physique de sorte que, en allant plus vite que la vitesse d’affichage du décor, les murs et le sol n’existent pas encore. À partir de là, on peut se demander si l’on est encore dans le jeu, si l’on joue dans un monde tardif, si l’on joue dans un monde vide ou si l’on joue hors du monde.

Kant and Peach

En effet, nous pourrions considérer qu’il s’agit d’un simple bug de ralentissement de la vitesse d’affichage (couramment appelé « Lag ») ce qui constituerait un « monde tardif » ou même, qu’il s’agit d’un bug de texture nous permettant d’observer que les décors sont creux et vides (bug très marqué dans le jeu Big Rigs : Over the Road Racing) ce qui constituerait un « monde vide », mais il semble s’agir d’autre chose… Dans ce « TAS », il semble plutôt que nous nous situions « hors du monde » mais, toutefois, ce que nous montre la vidéo ne paraît pas, pour autant, avoir la même valeur qu’un « hors du monde » tel que celui que nous pourrions retrouver dans le cadre de la « WarpZone » d’un Super Mario Bros. Si nous tenons à faire cette distinction c’est que la « WarpZone », bien qu’elle se présente comme un au-delà de l’univers vidéo ludique initial et qu’elle puisse témoigner d’une quête métaphysique de la part du joueur, se situe plus « hors du monde connu » que « hors du monde ». Le joueur qui parcourt le cadre limite du décor reste, tout de même, toujours dans l’univers spatial du jeu et s’il gagne sans aucun doute du temps, ce temps est bien gagné dans le laps de temps à sa disposition. Ainsi, le joueur place son avatar dans une situation borderline, à la limite du jeu et du « hors jeu », mais non dans une situation qui précéderait les conditions de possibilité d’existence de l’univers vidéo ludique. D’une certaine façon, celle-ci pourrait constituer la métaphysique erronée que Kant identifiait comme provenant des erreurs de la Raison de ses prédécesseurs, puisqu’elle se situe encore dans le monde. Or, ce n’est pas de cela dont-il est question dans le cadre du « TAS ».

Dans ce que nous propose la vidéo sur Super Mario 64, l’univers vidéo ludique n’est tout simplement pas encore présent comme la scène qui n’aurait pas été montée, plus que comme la scène qui serait montée mais qui se ferait attendre derrière le rideau. De même, l’univers n’est pas vide comme le récipient en attente de contenu et il faut, plutôt, considérer qu’il n’y a pas encore de récipient. Enfin, l’univers n’est pas là dans sa forme la plus primaire qu’est celle de ses conditions initiales a priori suffisantes et nécessaires, le joueur se situe pendant un instant dans ce qui bafoue la structure de l’univers, dans un pré ou anté-univers, avant les conditions de possibilité d’existence de l’univers donc avant l’univers, puisque sans ces conditions l’univers ne peut exister.      

Voilà donc tout l’intérêt de cette vidéo qui semble mettre en avant ce à quoi une philosophie kantienne, une physique moderne ou même la religion (Avant que Dieu crée le Monde et le Temps que faisait-il ? Il créait l’Enfer pour les gens qui posent ce genre de question. Réf : St Augustin, La création du monde et du Temps, sur la bêtise des discours religieux de son époque) se refusent, à savoir : le dépassement des conditions premières d’existence d’un univers sous peine de se retrouver à penser le « hors univers ». Cependant, ce « TAS » peut, peut-être, nous pousser encore plus loin dans la réflexion en ce qu’il nous met potentiellement en présence du Non-Être, chose presque inconcevable tant la logique nous pousse à penser que le Néant, entendu comme absence de toutes possibilités d’existences, ne peut lui-même exister (soit ­˥A = Vrai, mais ˥˥A = Faux car ˥˥A = A). Ceci nous engagerait vers d’autres considérations telles que l’Être du Non-Être ou le Néant comme condition première de l’existence mais nous nous en tiendrons à ceci, bien que ces questions soient intéressantes.  

 

 

 

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